L’importance de la qualité du lien en EHPAD : quand le « holding institutionnel » devient un acte éthique

Lorsque l’on franchit le seuil d’un EHPAD, on entre dans un lieu où la vulnérabilité humaine devient visible et quotidienne. Derrière chaque chambre, chaque couloir, il y a une histoire bouleversée par la perte d’autonomie, une transition rarement choisie, et un monde relationnel à reconstruire. C’est précisément dans cette situation que la qualité du lien prend toute son importance. Winnicott, pédiatre et psychanalyste britannique, a développé la notion de “holding” pour décrire le rôle essentiel du milieu qui entoure l’individu. Dans l’enfance, il désigne le soutien maternel qui permet à l’enfant de se sentir exister et de se construire. En EHPAD, cette fonction ne disparaît pas avec l’âge. Au contraire, l’entrée en institution rend le “holding” encore plus crucial : c’est le cadre collectif, porté par l’équipe et l’organisation, qui devient ce lieu de soutien psychique et symbolique.

Le holding institutionnel ne se résume pas à la bienveillance ou à la politesse. Il s’incarne dans la stabilité des repères, la continuité des présences, la qualité des transmissions, la cohérence des attitudes et des décisions quotidiennes. Lorsqu’un résident ne sait plus quel jour nous sommes, où se trouvent ses vêtements, ni même s’il pourra reconnaître le visage qui viendra l’aider à se lever, l’environnement humain devient son dernier ancrage possible dans la réalité. Une équipe stable, formée et soutenue est alors le premier garant de cette sécurité intérieure. À l’inverse, la rotation rapide du personnel, le manque de temps et la fragmentation des actes peuvent fragiliser le sentiment de confiance du résident, et ce sentiment de rupture résonnera jusque dans son corps, ses comportements, son angoisse.

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Dans l’éthique du soin, il n’est pas suffisant de répondre à un besoin fonctionnel comme l‘incontinence urinaire par exemple. L’aide à la toilette, à l’alimentation ou au déplacement n’est pas un geste neutre : elle touche à l’intime, à la représentation de soi, à la continuité de l’identité. Chaque interaction porte en elle un message : “Tu vaux l’attention que l’on te porte”. Si le geste est précipité, impersonnel ou désincarné, la personne peut se sentir réduite à une tâche ou à une pathologie. En revanche, si le soignant prend le temps d’un regard, d’une parole qui situe, d’une présence stable et reconnaissable, le résident retrouve ce sentiment fondamental d’être quelqu’un pour quelqu’un.

Il existe également une dimension familiale dans ce holding institutionnel. Pour les proches, confier un parent fragilisé représente souvent un arrachement. L’établissement devient l’extension de leur inquiétude, parfois de leur culpabilité. Lorsque les équipes parviennent à instaurer une relation de confiance avec les familles, elles participent à la continuité du lien affectif et rassurent chacun quant à la place du résident dans ce nouveau milieu de vie.

Assurer la qualité du lien en EHPAD est donc un acte éthique majeur : il reconnaît en chaque résident une personne qui reste digne d’être regardée, nommée, attendue. Dans un monde où l’efficacité et la rentabilité peuvent parfois prendre trop de place, il rappelle que le soin n’est véritablement humain que lorsqu’il inclut ce soutien invisible mais essentiel qui permet à chacun de continuer d’exister. Là où le corps décline, le lien peut encore porter.